mardi 7 octobre 2008

Omerta sur les clandestins

Pétition
Pour le retrait de la réforme ministérielle qui modifie les conditions d'intervention de la société civile dans les centres de rétention administrative! 

Nous signataires, à la suite de nombreuses associations (*), exprimons notre préoccupation concernant le contenu du décret du 22 août 2008 et de l’appel d’offres consécutif qui modifient les conditions d’intervention dans les centres de rétention administrative (CRA) quant à l’a et l’aide à l'exercice des droits des étrangers.

La mission telle qu’exercée jusqu’à ce jour par la Cimade auprès des étrangers retenus dans les CRA afin « de les informer et de les aider à exercer leurs droits » sera remise en cause par ces nouvelles dispositions :

  •  la réforme dénature la mission car l’assistance à l’exercice effectif des droits des personnes  retenues est désormais réduite à une seule mission d’information ;
  •  l’émiettement de cette mission contrarie toute observation, analyse et réaction d’ensemble sur la  situation prévalant dans les centres de rétention. Il entrainerait, outre une inégalité de traitement,  une réduction de la qualité de l'aide apportée aux étrangers ;
  •  l’ouverture de cette mission par voie d’appel d’offres de marchés publics à des opérateurs autres que les associations spécialisées menace l’exercice des droits fondamentaux des personnes  retenues ;
  •  l’exigence de neutralité, de discrétion et de confidentialité revient à entraver toute parole  publique de témoignage et d’alerte sur certaines situations contraires au respect des droits  fondamentaux.

  • Cette volonté d’entraver l’action de la société civile est d’autant plus inquiétante qu’elle intervient  dans un contexte marqué par une politique du chiffre en matière d’éloignement des étrangers et les  menaces contenues dans la directive « retour » adoptée par le Parlement européen(**).

    Nous, signataires, considérons que, telle qu’elle est envisagée, la réforme des conditions d’intervention en rétention n’est pas acceptable.

    Nous exigeons du gouvernement de renoncer à sa réforme.

    Nous demandons au gouvernement d''engager une concertation avec l’ensemble des organisations qui dans notre pays sont attachées au respect des droits des étrangers.

    signer la pétition

    (*) 
    DECLARATION inter associatives, Sur les dangers de la réforme ministérielle relative aux interventions de la société civile dans les centres de rétention administrative
    Communique du Syndicat des Avocats de France 
     Appel lancé par le Gisti « Etrangers, silence on enferme ! »
       
     
    Le Monde du 4 octobre : Eva JOLY  : Omerta sur les clandestins
     
    Communiqué de la CIMADE   
    Communiqué d'Amnesty   
    Communiqué de presse du Réseau Education Sans Frontières (RESF) 
     Communiqué de FTDA 

    (**) 
    Pour comprendre les enjeux de la Directive "retour"


    LE MONDE  Mis à jour le 03.10.08 | 16h10

    S'adressant au pape, Nicolas Sarkozy affirmait que "c'est en pensant à la dignité de l'homme que nous affrontons la si délicate question de l'immigration, sujet immense qui demande générosité, respect de la dignité et en même temps prise de responsabilités". Il est temps de lever le voile sur la triste réalité que cachent ces belles paroles.

    Depuis vingt-cinq ans, la Cimade porte le regard de la société civile au coeur des centres de rétention français. Cette association avait été approchée par le gouvernement dès la création en 1984 de l'enfermement administratif des étrangers, car son histoire était liée, plus que toute autre, à cette problématique. Au fil des ans, la Cimade s'est adaptée à une législation sans cesse modifiée par les gouvernements successifs, pour exercer tant bien que mal sa mission : la mise en oeuvre de l'exercice effectif du droit des étrangers enfermés.

    Depuis 2003 avec l'instauration d'une politique chiffrée des expulsions, la Cimade a dû réagir. Le plus souvent dans l'indifférence générale, elle a tenté d'alerter l'opinion publique sur ce dont elle seule pouvait témoigner : la dégradation considérable de la situation des étrangers "retenus".

    Mais aujourd'hui le rôle de cet organisme indépendant est menacé. En effet, cette mission répond à un marché public, qu'à l'occasion de son renouvellement, le gouvernement s'apprête à transformer en profondeur. Désormais, il n'y aura plus sur le territoire français un seul observateur à même de publier des rapports couvrant l'ensemble des sites de rétention, mais une multiplicité d'intervenants locaux.

    Plus personne ne sera en mesure de relever les disparités de pratique administrative et judiciaire de la rétention sur le territoire ; et ce d'autant plus que les titulaires de ces marchés seront tenus par une clause de neutralité et de confidentialité. N'importe quelle "personne morale" pourra répondre, de l'organisme parapublic - à l'indépendance très relative à l'égard du gouvernement - à l'entreprise privée.

    La rédaction de l'appel d'offres suscite le doute sur la nature de la nouvelle mission : alors que la Cimade aide activement les "retenus", les assiste pour rédiger des recours administratifs, le nouveau marché semble ne prévoir que la distribution d'un fascicule d'information "en vue de l'exercice de leurs droits". Soit un double feuillet en guise d'introduction au code des étrangers, voilà une touchante attention qui ne risque pas de rendre les retenus trop procéduriers.

    Je ne veux pas prendre la défense de cette association à laquelle je ne suis liée en aucune manière, mais je veux témoigner de ce que la mission qu'elle occupait jusqu'à présent est d'une importance fondamentale. A ceux qui m'objectent qu'aucun pays européen n'est doté d'une telle structure, je réponds que la Chine et les Etats-Unis non plus ; et qu'il n'est en cette matière aucune norme supérieure à celle que nous dictent nos principes, dont le fondement doit demeurer la Déclaration universelle des droits de l'homme.

    Cette réforme mineure en apparence est emblématique de la perte de repères de notre pays et de sa dérive vers des pratiques toujours plus éloignées des idéaux qui l'ont fondé. Les étrangers sans papiers sont vulnérables et c'est l'honneur de notre pays que de leur garantir de pouvoir exercer réellement ce peu de droits que notre législation leur concède.

    Chacun sait que la lutte contre l'immigration clandestine est un arbitrage permanent entre le respect des droits humains et la volonté de réduire le flux migratoire. Cette équation n'a pas varié depuis que le pays a fermé ses frontières en 1974. Ce que chacun doit comprendre, c'est que cet arbitrage ne peut pas être indéfiniment en défaveur des droits de l'homme. Il arrive un moment où le dispositif ne peut plus être durci sans trahir ce que nous sommes.

    Cette limite atteinte, il faut savoir admettre - publiquement - que malgré tous les efforts de la force publique, le dispositif laisse du jeu. Même la Corée du Nord ne parvient pas à rendre totalement étanche ses frontières. Je m'étonne de ce que la question de cette limite ne soit pas publiquement posée. Il faut dire qu'elle comporte certains aspects peu reluisants.

    La politique du chiffre est en effet une course en avant. Des résultats tangibles en valeur absolue étant hors de portée (la diminution du nombre de clandestins sur le territoire par les reconduites demeure dérisoire), le gouvernement focalise sa communication sur l'augmentation du chiffre de reconduites d'une année sur l'autre. La mise en oeuvre de cette augmentation statistiquement marginale a un coût moral tout à fait exorbitant.

    Mais le spectacle du volontarisme politique ne s'encombre pas de ce genre de détails. Ainsi, si la France ratifie la directive retour votée récemment au Parlement européen, autorisera-t-on l'enfermement des étrangers pendant dix-huit mois consécutifs ? Cette mesure est aussi cruelle qu'inutile puisque l'on sait qu'une reconduite matériellement réalisable intervient presque toujours dans les premières semaines de la rétention. De même, doit-on redouter qu'en vertu de ses objectifs chiffrés, la France n'entérine le principe des reconduites de mineurs isolés vers des pays de transit où ils n'ont aucune attache.

    Cette politique recèle d'autres dangers : la pression grandissante exercée sur les préfectures, les services de police, de gendarmerie et sur la justice est une incitation permanente à franchir la ligne rouge de la légalité républicaine. Des traquenards autour des écoles aux guets-apens devant les guichets de préfecture en passant par les rafles aux sorties de métro, la réalité d'aujourd'hui menace d'ores et déjà notre identité nationale. Ne louvoyons pas avec l'Etat de droit, nous avons tout à perdre et rien à gagner.

    Alors que dans les services publics, l'heure est à la modernisation, les administrations concernées par l'immigration clandestine s'enfoncent tous les jours, un peu plus, dans des méandres kafkaïens.

    Je sais que dans le pays de Voltaire et de Rousseau, il est devenu chic de mépriser le "droit-de-l'hommisme", je sais que le terrain est idéologiquement quadrillé et que quelques formules lapidaires ont chauffé à blanc les opinions : "angélisme", "régularisation massive", "appel d'air", "immigration choisie"...

    Je sais aussi que la gauche est pétrifiée par ce sujet, mais je veux prendre ici à témoin ceux qui ont l'espoir de refonder une démocratie sociale sur des idées claires : nous ne gagnerons jamais en reniant nos principes.




    Eva Joly, ancienne magistrate, est candidate de l'union des écologistes aux élections européennes.

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